En 2024, l’ANPFS crée son corps des juges, à l’instar de ceux qui existent au sein d’autres stud-books.
INTERVIEW : Guillaume Blanc
De stagiaire à référent, chaque juge respecte un engagement de formation et de perfectionnement, et est garant des règles éthiques portées par l’association. En concours d’élevage, le jury est avant tout perçu comme un groupe d’experts visant à départager les concurrents selon une grille de notation prédéfinie. Pour autant, son rôle ne saurait s’arrêter là. Guillaume Blanc, Directeur de l’Accompagnement à la Filière au sein de l’IFCE, juge SF, partage avec nous sa vision du rôle du juge.
Quel est le rôle du juge dans un concours de modèle et allures ?
Le juge est là pour donner une analyse neutre et objective des caractéristiques du cheval dans une approche fonctionnelle. On juge un cheval pour l’usage qu’il va avoir, en évaluant chaque partie de son corps. La notion de « j’aime, je n’aime pas » n’entre pas dans le mode de raisonnement du juge.
Concrètement, comment juge-t-on dans cette approche fonctionnelle ?
Tous les chevaux sortent du même moule. Pour autant, selon la pratique à laquelle ils sont destinés, on va juger différemment chaque partie du corps. On ne juge pas un cheval d’endurance comme un cheval de saut d’obstacle. Prenons des exemples concrets :A quoi sert l’encolure du cheval ? C’est un balancier. Au cheval de sport, elle sert à s’élever vers le haut pour sauter l’obstacle. Elle doit donc être longue, musclée dans sa partie haute car c’est son extrémité qui va servir de bras de levier pour se redresser. L’attache de tête est quant à elle le lien entre la bouche du cheval et la main du cavalier. Si le cheval a une grosse ganache, la tête sera moins mobile et donc plus difficile à gérer pour le cavalier. C’est une analyse purement mécanique et fonctionnelle. Quand on regarde les autres postes de jugement, viennent ensuite le garrot, le dos et le rein. C’est la partie du corps qui porte le cavalier et qui transmet la force. Si le garrot va loin, on pourra poser la selle relativement en arrière. Le cavalier sera donc assis au niveau du centre de gravité du cheval. A l’inverse, si le garrot est court, le cavalier sera assis en avant du centre de gravité du cheval, ce qui le déséquilibrera. Un dos mou sera confortable mais moins résistant à l’effort, avec un impact à terme sur la longévité de la carrière du cheval. Les aplombs ont la même importance pour satisfaire une activité sportive dans la durée. Un homme debout est un peu panard. Un cheval bien conformé aussi. Car l’homme, comme le cheval, est beaucoup plus stable sur ses pieds lorsqu’ils sont légèrement orientés vers l’extérieur. La particularité du cheval est qu’il ne présente aucun muscle en partie distale de la jambe, c’est-à-dire sous le genou. Il n’y a que des tendons et des articulations. Le moindre défaut d’aplomb va donc particulièrement les solliciter et augmenter considérablement le risque de blessures. Si un homme marche les pointes de pieds rentrées, il va rapidement avoir mal aux genoux. C’est le même phénomène qui se produit avec un cheval cagneux. Enfin, pour le cheval d’obstacle, il est intéressant de regarder la longueur de ses rayons. Un animal qui saute haut a de grands rayons. C’est le cas chez le kangourou, la sauterelle, la grenouille. Et chez le cheval ! On cherche donc une croupe longue et des bras de levier longs. En jugeant le modèle, on tente de déterminer précocement si un cheval va avoir une aptitude pour faire ce qu’on attend de lui sur le long terme. Si un cheval n’est pas fonctionnel, tout l’investissement mis au départ ne sera pas rentable car il ne sera pas performant, ou tout du moins pas sur la durée.
Le juge ne juge pas uniquement le modèle. Que regarde-t-il dans les ateliers d’allures et de saut en liberté ?
Les allures doivent avant tout être régulières et symétriques. Puis l’amplitude et le rebond feront monter la note. Un poney de 3 ans ne sait pas toujours gérer son corps. On préférera une bonne amplitude sur une allure lente que des poneys qui courent en jetant les pattes. Il faut mieux avoir un poney qui monte un peu les genoux avant de s’étendre. Cela montre « qu’il en a encore sous le coude » et qu’il n’est pas déjà au maximum de son potentiel. A l’obstacle, on apprécie un cheval intelligent, qui va se régler tout seul, qui sait comment aborder son obstacle, se reculer, prendre la bonne initiative. On ne pénalise pas un cheval qui rate un passage s’il se corrige de lui-même sur le suivant. Les jugent apprécient aussi la réactivité, l’articulation au-dessus de l’obstacle ; la force, c’est-à-dire la capacité à mobiliser sa force musculaire pour passer au-dessus de l’obstacle. Un cheval avec beaucoup de force n’aura pas toujours un bon style car franchir l’obstacle n’étant pas difficile, il ne pliera pas exagérément ses genoux. On peut donc avoir une bonne note en force et une moins bonne note en style, et inversement. Un bon saut doit aussi se répéter.
Peut-on améliorer ses notes avec une bonne présentation ?
La préparation est bien entendu indispensable car elle permet de se présenter sous son meilleur jour et facilite le jugement. On reste dans une logique de concours où il faut mettre tous les atouts de son côté : tenue du présentateur, qualité du pansage… Un cheval qui ne tient pas en place sera plus difficile à expertiser donc sera moins bien noté. Le rôle du présentateur est important car il doit savoir mettre en avant les qualités du cheval. S’il tire la tête du cheval vers le haut par exemple, le dos se creusera… A ce sujet, il est cependant intéressant de noter que les 3 ans trop préparés ne seront pas forcément bien notés.
Quelles sont les qualités d’un bon juge ?
Le juge doit avoir un jugement stable dans la durée. Son jugement doit être reproductible. Deux chevaux qui sautent de la même façon doivent avoir les mêmes notes et le juge doit pouvoir le justifier. Le juge doit également être solidaire à l’intérieur du jury. Il y a souvent des discussions mais, une fois la note mise, tous les membres du jury doivent la soutenir. Il n’y a rien de pire qu’un juge qui dirait à un éleveur « je t’aurais mis une meilleure note ! » Il est évident que le juge doit aussi être neutre et indépendant. Il faut juger selon le type choisi par le stud-book, en accord avec le programme de sélection. En saut d’obstacle on cherche des chevaux qui savent mobiliser leur énergie vers le haut. En endurance, l’énergie doit être mobilisée vers l’avant, un cheval horizontal ne sera donc pas pénalisé dans sa carrière avec ce type d’équilibre. Ce sont deux sportifs qui seront sélectionnés et préparés différemment. Mais tous les deux pourront être champion du monde. Il faut d’ailleurs noter qu’on ne cherche pas à détecter un champion olympique en concours de modèle et allures, mais des chevaux qui répondent au standard de leur stud-book et qui fonctionnent donc le mieux possible au regard de l’usage que l’on attend d’eux.
Comment exerce-t-on son œil pour bien juger un cheval ?
Il faut être disponible pour en voir beaucoup. Le nombre offre la possibilité de faire la répétabilité du jugement. Il faut surtout regarder les chevaux avec une approche pragmatique et fonctionnelle. L’éleveur ne doit pas regarder son cheval en se disant qu’il est le meilleur du monde. Il doit le regarder avec une logique de fonctionnalité et se demander s’il est adapté à l’activité envisagée.
T’arrive-t-il d’être en désaccord avec les autres membres du jury ? Comment tranche-t-on dans ce cas ?
Le jury est souvent composé de trois juges, parfois quatre ou cinq. Et nous sommes souvent d’accord ! Quand il y a débat sur une note, on vote. La majorité l’emporte. Il faut voir un lot de poulains sur un concours comme une courbe de Gauss ; il y a 10% de mauvais, 5% à 10% qui sortent du lot, le reste des candidats étant dans la moyenne. L’objectif du juge est donc de déterminer les 5% meilleurs du lot. Sur ceux-là il faut être d’accord. On augmente souvent les très bonnes notes pour valoriser le travail des éleveurs. Et de la même façon, la courbe des moins bons est un peu tronquée car les éleveurs n’emmènent plus leurs moins bons éléments, il n’y a donc plus de catastrophe ! En concours SF on rappelle les dix meilleurs. Les 70 suivants ne sont pas rappelés, on leur remet juste leur protocole. Ces chevaux qui ne sont pas dans les dix meilleurs ont des qualités et des défauts. Leurs notes donnent des informations aux éleveurs sur leur production mais il n’y a pas d’intérêt à établir un classement. A la finale nationale tout le monde est bon, la sélection s’est faite avant. Un cheval qui ne termine pas dans les cinq n’est pas un mauvais cheval. L’éleveur pourra comparer ses notes avec celles des premiers s’il le souhaite pour mieux considérer ses qualités et ses défauts.
T’arrive-t-il souvent d’avoir à faire à un éleveur mécontent ou déçu à la fin d’un concours ? Que lui dis-tu ?
Le juge doit rester disponible pour expliquer aux gens ce qu’il a vu et justifier ses notes. Il faut que l’éleveur revienne vers le juge avec son protocole pour expliquer la notation et lui donner éventuellement des conseils. Il est important de mettre en avant les qualités du cheval, sans mentir sur le fait qu’il n’est pas parfait sur d’autres points.
Quels conseils donner à un jeune éleveur qui présente son poney pour la première fois en M&A ?
Il ne faut pas venir en M&A pour gagner, il faut y aller pour chercher une expertise, voire prendre des conseils. Comment un jury voit un cheval que l’éleveur voit avec les yeux de l’amour ? Faut-il garder son mâle entier ? Mon cheval a-t-il des problèmes d’aplomb que je n’aurais pas détectés par manque de connaissance ? Les concours de M&A font aussi partie de la sociabilisation du jeune cheval. La vie en troupeau, les concours d’élevage sont importants pour la vie future du cheval de concours qui devra croiser ses congénères sur une carrière.
Le stud-book SF a un parcours de formation et de compagnonnage très poussé dont l’ANPFS s’est inspirée pour organiser son propre corps des juges. Comment cela se passe-t-il dans les stud-books étrangers ?
Chaque stud-book a ses règles de fonctionnement. Certains stud-books sont très rigides. En Allemagne, il y a un juge unique, il n’y a pas de discussion. Mais c’est aussi en Allemagne que le testage des étalons est le plus long. Il dure cent jours. Cela permet d’avoir une vision sur la durée de chaque individu. En France, le testage a permis d’avoir une information sur l’état du cheval le jour du concours. Certains arrivent au pic de leur forme puis baissent de pied durant le testage. D’autres sont en phase de progression et vont vraiment bénéficier du testage. Cela permet aussi d’appréhender la relation à l’homme, la disponibilité, la facilité d’utilisation, l’adaptabilité. Ces notions ne peuvent pas être abordées le jour du concours mais le testage permet de donner ces informations-là.
On t’aperçoit souvent accompagné de représentants étrangers, notamment asiatiques, que viennent-ils chercher en France ?
Je viens souvent accompagné de Coréens au Sologn’Pony car la Corée souhaite ouvrir son équitation au grand public. Il y a un enjeu d’acceptabilité sociale dans ce pays et l’interaction avec le cheval doit être perçue comme positive. Ils ont donc conclu des partenariats pour l’achat de poneys d’instruction et tous les ans deux ingénieurs viennent en formation longue durée. Grace à ces partenariats qui leur permettent de voir les coulisses du secteur, ils viennent ensuite nous acheter des chevaux car la confiance a été établie. Les relations sont plus difficiles avec la Chine qui n’a que des demandes ponctuelles pour l’achat de lots de chevaux. En revanche nous avons des relations régulières avec le Chili. Le meilleur exemple de transfert de compétences reste le Japon qui a construit son équitation et sa montée en gamme grâce à des expertises européennes, jusqu’à finir 4ème aux Jeux Olympiques en concours complet en 2020 et médaille de bronze à Paris cette année.
Propos recueillis par Savina Blot-Dollfus