Dans le monde du cheval de sport, les ventes aux enchères d’embryons ou de foals bien nés ont le vent en poupe. Elles donnent l’occasion aux éleveurs de toucher un panel d’acheteurs plus large et d’offrir aux amateurs de belle génétique des opportunités auxquelles ils n’avaient pas accès il y a encore quelques années. La technique reste toutefois risquée.

Enquête

© Savina Blot-Dollfus

Cette multiplication de l’offre est rendue possible par un recours croissant aux transferts d’embryon, et plus récemment au développement de l’ICSI (intra-cytoplasmic sperm injection). En dix ans, le recours au TE (transfert d’embryon) a connu une croissance de 130 %. En 2013, on comptait 532 produits issus de TE. Ils étaient 1 228 en 2022, après avoir connu un boom à 1 645 naissances en 2021. On constate d’ailleurs une pénurie de jeunes trotteuses sur le marché qui viennent grossir les rangs des troupeaux de mères porteuses.

Se dessinent alors de nouveaux débats autour de l’appauvrissement de la diversité génétique. Les juments considérées comme les meilleures reproductrices ou issues des meilleures souches donnent plusieurs embryons par an pour nourrir ce marché florissant et comptent aujourd’hui pour certaines près de cinquante produits enregistrés au SIRE : La Mare, 49 produits ; Amati P M S (DE), 43 produits ; Ma Passion, 40 produits ; Café Crème (LU), 40 produits ; Fragrance de Chalus, 37 produits, pour ne citer que ces matrones stars, mères et grands-mères de nombreux gagnants.

Chez les éleveurs de poneys, la discussion n’a pas lieu d’être. Le recours au transfert d’embryon reste encore une pratique confidentielle bien qu’elle se développe de plus en plus depuis 5 ans : 9 poulains issus de TE étaient enregistrés en 2013, 16 en 2019, 28 en 2022. Avec 14 produits enregistrés chacune, dont plusieurs en transfert d’embryon, Qure de la Rive (Linaro, Drp x Gold des Ifs, Nf) et l’Européenne Vicky (Olvic, Aa x Fudge du Galion, Nf) ont fait figure de pionnières dans le monde du poney. Alexandre Gruson tenta même les croisements chevaux sur Vicky en TE, avec des résultats moins flagrants qu’en poneys. Deux raisons majeures l’expliquent : le coût, et donc la rentabilité du produit à naître ; et le risque sur la toise, la grande majorité des porteuses étant de taille cheval.

Qure de la Rive*Fougnard, performante en Grand Prix CSO, compte 14 produits enregistrés dont plusieurs en transfert d’embryon. © Poney As

Au prix du suivi gynécologique et de la saillie s’ajoutent en effet l’ensemble des coûts liés à l’acte du transfert en lui-même : récolte de l’embryon, implantation dans une jument porteuse, location de la jument porteuse. Pour une récolte, il faut compter entre 200 € HT et 250 € HT, certains centres proposant des forfaits à la saison. L’implantation de l’embryon est souvent incluse dans la location de la porteuse, mais si l’éleveur dispose lui-même d’une porteuse, l’acte lui sera facturé. La location d’une jument porteuse, gestante à 45 jours et assurée, coûtera à l’éleveur entre 2 500 € HT et 3 000 € HT. A ces tarifs, le calcul pour l’éleveur de poneys est rapidement fait, et l’opération peu rentable au regard des prix de vente pratiqués chez les foals.

Pourtant certains passent le pas. Tous sont mus par le même objectif : conserver une origine rare à l’élevage. Les sous-jacents sont plus nombreux : ponette d’âge qui ne peut plus porter elle-même, maximiser les chances d’avoir une pouliche en multipliant la production, permettre à la donneuse de poursuivre sa carrière sportive sans pour autant renoncer à sa carrière de reproductrice. Valentin Leriche (Haras DLH) confie : « j’ai trente poulinières chevaux à la maison, nous n’élevons pas de poneys mais nous avons récupéré Nana de Garenne, la ponette de cœur de la famille valorisée par ma belle-sœur. Vu l’âge de la ponette, nous n’avons voulu prendre aucun risque donc nous la faisons reproduire en transfert en espérant avoir plusieurs gestations par an pour faire naître une pouliche. »

« Il ne faut pas faire de transfert dans l’unique optique de maximiser le nombre de poulains à la fin de l’année. C’est une technique qui reste risquée, que je compare souvent à l’insémination à la paillette ! »

© Charlotte Degien

Face à l’argument économique, les retours sont unanimes. Pour rentabiliser, il faut valoriser le poulain et l’emmener jusque sur de belles épreuves. Le coût de la conception est alors dilué dans le coût de revient global du poney à 6 ou 7 ans et l’espoir de gains bien plus important. Mais pour attendre, il faut avoir ce goût du risque, notamment lorsque le poulain né est un mâle et qu’il n’a donc pas vocation à être gardé en mère à l’élevage. Certains minimisent les coûts en mettant à profit des porteuses qui leur appartiennent. Mais pour avoir une jument prête à recevoir l’embryon de la donneuse, il faut en suivre quatre ou cinq… avec autant de suivis gynécologiques à payer. Certains vétérinaires proposent de cycler une jument porteuse parallèlement au suivi de la donneuse. Il faut néanmoins une solide expérience pour assurer la réussite du transfert et parfois sacrifier un cycle pour optimiser la synchronisation, comme nous l’explique le Docteur Charlotte Degien (voir interview). Fournir sa propre porteuse, idéalement de taille poney, permet également de limiter les risques de produire un poney hors côte ; les juments trotteuses, de grand gabarit pour certaines, permettant un développement in utero plus important des poulains et constituent donc un risque sur la taille adulte du poney, alors que chaque centimètre compte !

Si une part non négligeable des transferts concerne des pères poneys croisés à des mères ponettes de petite taille, avec l’objectif de produire un poney, quelques éleveurs choisissent le transfert d’embryon et l’implantation dans des porteuses de grande taille pour produire des chevaux. Phénomène anecdotique ou suite logique dans l’évolution du look et de la génétique poney ? Dominique Calvier (élevage des Aubépines) a réussi son pari : « notre ponette Ollystar avait déjà du sang cheval dans son papier et une production de sauteurs. Mon fils a voulu se faire un cheval avec. Nous avons mis Kannan dans une porteuse trotteur non primipare. ». A l’élevage de Twin aussi, un transfert a été pensé dans l’objectif de créer un cheval en partant d’une souche poney imprégnée de sang cheval : « la très bonne génétique cheval est inabordable alors nous avons choisi de croiser l’une de nos bonnes poulinières, déjà imprégnée de sang cheval, avec un étalon apportant lui-même de la taille ; et de maximiser nos chances de produire grand en implantant l’embryon dans une grande porteuse. L’évolution du stud-book PFS – qui met en avant les qualités physiques et sportives de bons poneys de sport – et l’apport croissant du sang cheval, nous rapprochent sans cesse du stud-book Selle Français. Le sang cheval nous a permis aujourd’hui de créer d’incroyables poneys de compétition. Ces mêmes athlètes, avec quinze à vingt centimètres de plus, ne feraient certainement pas de la figuration sur les terrains de concours chevaux. C’est une expérience que nous avons envie de tester ! », explique Laetitia Blot-Dollfus.

Le commerce actuel, porteur pour l’éleveur depuis quelques années, et la reconnaissance d’un savoir-faire français chez nos voisins européens, pourraient permettre aux éleveurs de franchir plus facilement le pas du recours au transfert, et permettre ainsi à nos meilleures compétitrices d’assurer pleinement leur rôle sur les terrains comme à l’élevage.

La suite de ce reportage avec l’interview du Docteur Charlotte Degien (MB VET) prochainement.

Savina Blot-Dollfus